Perles antiques : de la Mésopotamie à l'Empire romain
Avec les perles antiques, nous touchons à l’origine des perles de verre que nous retrouvons aujourd’hui en Afrique. Dès les premières grandes civilisations. Les hommes imaginent des bijoux à base de silice (3 500 ans av J.C), même si l’on parle de faïence (terme employé par les archéologues anglo-saxons). Ces perles se développent dans les civilisations de Mésopotamie, mais aussi de l’Indus et Égypte.
Nous sommes là dans la zone géographique originelle de la perle de verre. C’est ici qu’elles ont été créées, que leurs techniques ont été élaborées et leurs motifs définis. Nous retrouverons ceux-ci au fil des millénaires, depuis les premières productions massives de perles en pâte de verre, telles les perles produites en Egypte, au début de la VIIème dynastie (soit vers 2 400 ou vers 1 400 ans av. J.C., selon les datations !), jusqu’aux perles islamiques (du VIème au XVème siècle de notre ère), également abondamment fabriquées en Egypte.
Cette période historique des perles constituera d’ailleurs la base et la principale source d’inspiration de maîtres verriers vénitiens qui prendront ensuite le contrôle de la production dans le bassin méditerranéen et même au-delà (voir les millefiori, les chevrons, les perles filigranées…).
Nous distinguerons deux grandes périodes : les perles égyptiennes (de 300 à 30 ans av. J.C.) et les perles romaines (de -50 à 350 ans ap. J.C.). Mais ces deux périodes ne peuvent être présentées sans un bref rappel de l’évolution des perles dans le monde antique (entre 3 500 et 300 ans av. J.C.).
En Égypte Antique, comme en Mésopotamie ou dans tout autre foyer de grandes civilisations, les bijoux les plus nobles et les plus recherchés sont en pierres : l’agate, la serpentine, plus tendre à travailler, mais aussi la turquoise d’Iran, le lapis lazuli d’Afghanistan… Le travail de la silice était alors probablement trop délicat et encore trop complexe, notamment dans la maîtrise des températures, pour que cette joaillerie se développe véritablement.
Les premières perles de silice sont faites dans un agglomérat de salade fin cuit avec des oxydes, pour la coloration (LSD). Le cœur de la perle durcit mais ne fusionne pas véritablement. La surface de la perle subit une sorte de glaçage qui amène les archéologues à parler de faïence (de 3 500 à 2 000 av. J. C.). La perle est opaque et généralement d’une seule couleur. Les artisans l’emploient pour faire des reproductions moins coûteuses des perles de pierre. L’oxyde de cuivre permet d’obtenir des colorations bleues turquoises. L’oxyde de manganèse colore la faïence de nuances noires et violettes qui permettent d’imiter l’améthyste et certaines agates (RKL). La pierre reste la référence, avec évidemment l’or et l’argent grâce auxquels ont été imaginées les techniques du filigrane que nous retrouverons plus tard appliquées aux perles de verre plus élaborées.
Les premiers trempages d’un cœur en silice ou en argile dans des bains de pâte de verre en fusion remonteraient à 2 200 ans av. J.C. (LSD). Cette technique permet de produire les perles en plus grandes quantités, et de concevoir des superpositions de couleurs. Toutefois, le bleu reste la couleur dominante. Cette industrie naissante va se prolonger en Egypte jusqu’en 1 500 av. J. C.
Cette longue période de gestion nous permet également de restituer le rôle de ses perles. Les sociétés antiques étaient hiérarchisées et les bijoux avaient une fonction d’ornement qui permettait de montrer le rang social des personnes qui les portaient (autant les hommes que les femmes). La pâte de verre est alors un bijou plutôt modeste, fabriquée avec des matériaux disponibles sur place, à l’inverse des pierres semi-précieuses dont la valeur reposait, aux yeux des notables qui les portaient, sur la distance parcourue. De toute façon, par son procédé de fabrication, la perle en verre était trop fragile pour être commercialisée sur de grandes distances et gagner ainsi de la valeur. A cette époque, les perles de verre ne sont pas encore produites en grande proportion mais les techniques s’affinent. Les premières perles mosaïquées sont créées.
Dans sa fonction d’origine, la perle n’est donc pas une monnaie mais bien un bijou décoratif, ainsi qu’un talisman destiné à protéger celles et ceux qui la porte. Notons qu’en égyptien, le mot "chat" signifie ‘bonheur" et la perle se dit "cha-cha" (LSD).
La verrerie égyptienne décline progressivement pour presque totalement disparaître à la fin de la XIXème dynastie (Ramsès II), vers 1 100 av. J.C. Peut-être faut-il lier au fait que des perles ont été retrouvées dans des sépultures et que leur fonction religieuse se sont imposée aux autres (artistiques, ludiques ou politico-sociales). En devenant un moyen magico-religieux de communication avec l’au-delà ; la perle ainsi sacralisée n’a probablement plus pu être utilisée par les vivants, ni donc se développer.
Mais d’autres foyers de production et de création se maintiennent c’est par exemple de Perse (entre 800 et 300 ans av. J.C) que semblent provenir les plus anciens "yeux de chat" jusque-là découverts. Par ailleurs, à Carthage, des maîtres verriers phéniciens produisent de surprenants pendentifs représentants des têtes et des figurines en trois dimensions à partir de verres colorés et étirés autour d’un noyau de sable ou d’argile (entre 700 et 200 ans av. J.C.). Est-ce à cause des guerres médiques contre la Perse, mais cette période enregistre un retentissement de la production perlière. Chaque fois que la Perse (actuel Iran, Afghanistan…) est en crise la création en est affectée dans toute la partie orientale du bassin méditerranéen. Et lorsque l’or vient à manquer (toujours à cause des guerres), ils appliquent la technique du filigrane en apposant à la place des filaments de verre fondu sur la perle.
La perle renaît à l’occasion des conquêtes d’Alexandre le Grand puis de la création d’une Perse séleucide (de 304 à 64 ans av. J.C.) et d’une Egypte ptolémaïque (de 304 à 30 ans av. J.C.). Les principales techniques de fabrication sont désormais connues et ont été testées. Mais avec l’apparition de ces nouveaux grands empires et de leur dimension marchande, la perle de verre va pouvoir donner lieu à un commerce d’une toute autre envergure, de Gibraltar à l’Indus. Les conquêtes d’Alexandre le Grand ont ouvert le monde méditerranéen aux influences extrême-orientales. En Egypte ptolémaïque (du nom de Ptolémée, général d’Alexandre le Grand), la production perlière se délocalise pour progressivement passer de la Haute et Moyenne Egypte à la rayonnante Alexandrie, créée à cette époque.
La perle égyptienne s’ouvre au monde. Il se produit plus de perles durant ces quelques siècles qu’il n’en avait été produit durant le dernier millénaire écoulé (LSD). Et c’est donc à partir de cette époque (dès 300 ans av. J.C.) que la perle se commercialise véritablement. C’est plus probablement aussi de cette période que datent les perles "antiques" les plus anciennes que l’on puisse retrouver aujourd’hui en Afrique.
A partir de 100 ans av. J.C., la technique du noyau de sable est définitivement abandonnée au profil de perles entièrement formées de pâte de verre. Elles gagnent en solidité, en pureté et en transparence. C’est à cette époque que remontent les "yeux de chat " translucides les plus anciens.
Les "yeux" sont un thème majeur dans la symbolique antique. Ils se sont transmis de l’antiquité la plus reculée jusqu’à cette époque avec une constance due à leur signification magique et leur rôle protecteur. Incrustés dans la perle de verre chauffée et encore tendre, ils sont censés chasser la mauvais œil et protéger les personnes qui les portent en attirant sur eux les malheurs qu’elles auraient dû subir.
Le mariage des influences égyptiennes, perses et indiennes fait qu’à la veille de l’empire romain, les maîtres verriers égyptiens et d’Asie mineure maîtrisent les techniques de la mosaïque. Du pillage, de l’étirage, de la pression, du polissage… Et qu’ils appliquent ces méthodes à des formes aussi diverses que celles du cœur, du cône, du cylindre et d’autres formes biconiques ou bipyramidales…
La perle de verre connaît un degré de sophistication qui explique qu’elle devienne un article autant recherché par les gens modestes que par les populations aisées. Elle devient un bijou de référence et sa commercialisation augmentera encore au cours de l’empire romain (de 50 ans av. J.C. à 450 ap. J.C.). Nous retrouverons par la suite ces perles dites "romaines" de la Scandinavie à la Chine en passant par le Mali et l’Ethiopie.
La spécificité de cette seconde période, dite romaine, ne vient pas uniquement des dimensions de zone d’échange (déjà évoquées, quoique dans une moindre dimension, à la suite des conquêtes d’Alexandre). La production s’organise à l’échelle de l’empire. Par exemple, les romains apprécient particulièrement les perles mosaïques. Notamment celles qui représentent des fleurs (millefiori), des monuments, des silhouettes ou des visages.
La technique employée atteint des sommets de finesse. Elle se propage dans tout le bassin méditerranéen grâce à une commercialisation des bâtonnets mosaïques qui servent de matière première à la confection des perles. Les matériaux puis le savoir-faire des maîtres verriers égyptiens se sont d’abord diffusés à partir d’Alexandrie, où cette technique était probablement la mieux maîtrisée. De nouveaux centres de productions sont apparus (Rome, Venise, Tyr, Sidon, Antioche), où les mêmes perles ont pu être confectionnées grâce à cette diffusion des bâtonnets de verres. La production perlière se standardise à travers tout l’empire du fait de la généralisation du commerce de sa matière première. Cette industrie se maintiendra durant tout l’empire, jusqu’à la fin du Vème siècle. Les perles romaines à face humaine survivront même à l’empire puisqu’elles seront encore produites, pour les dernières, au VIème siècle. L’empire s’effondre sous les coups conjugués des multiples invasions barbares du Vème siècle (les Huns, les Wisigoths, les Vandales…).
L’épisode romain reste fondamental dans l’histoire des perles. Ils s’inspirent des méthodes mises au point au Moyen-Orient et en Égypte depuis la plus haute antiquité. Mais les artisans de l’empire les améliorent encore pour produire massivement des perles dont le marché atteint une zone d’échange gigantesque, jusque-là jamais atteinte.
Cette production se diffuse dans l’empire et peut-être doit-on à cette époque l’émergence de nouveaux sites de production (en Lombardie, en Germanie inférieure...) qui joueront un rôle essentiel dans la propagation des perles en Afrique à partir du XIVème siècle (Amsterdam, Jablonec, mais surtout Venise). A leur tour, ces maîtres verriers s’inspireront des techniques et des motifs de l’antiquité pour fabriquer leurs superbes perles (millefiori, chevrons, fansi…).